La notion d’acte de référence

Plan de l’article :

I. Définition générale
II. Deixis et situation d’énonciation
III. Référents homophores
IV. Référence endophorique
V. Noms propres
VI. Références culturelles

VII. Références bibliographiques

I. Définition générale

Qu’est-ce qu’un acte de référence ?

Le monde des entités linguistiques (les mots eux-mêmes, noms, verbes, déterminants, pronoms… mais également les relations syntaxiques voire sémantiques) et le monde « réel » sont en relation constante, mais les liens qui les unissent ne sont ni évidents, ni éternels, ni incréés. Les mots et les choses, pour parler rapidement, existent dans des sphères distinctes et il convient d’indiquer, par un geste spécifique, la relation entre ces mondes : c’est, à proprement, l’acte de référence.

On désigne ainsi par « acte de référence » le mécanisme, implicite comme explicite, stabilisé ou non dans l’usage, qui met en relation un objet du monde réel avec sa représentation linguistique.

Il y a quelque chose, ici, de l’ordre du tableau de Magritte, La trahison des images (« Ceci n’est pas une pipe »). De la même façon qu’un dessin de pipe n’est pas une pipe, comme on ne peut pas la manipuler, la toucher et la fumer, mais qu’il renvoie néanmoins à l’objet via son image graphique ; le mot pipe n’est pas une pipe, mais y renvoie pas une relation conventionnelle entre la forme graphique (les lettres) et sonore (les sons) du mot pipe. C’est pourtant parce qu’il y a eu un apprentissage initial que l’acte de référence, soit la relation entre l’objet et le mot, a pu s’accomplir.

La trahison des images (Magritte, 1929)

L’originalité, cependant, de cet acte de référence, c’est qu’il se réalise de différentes façons. Par exemple, on peut appeler son conjoint « mon chat » et opérer ainsi un acte de référence entre un objet linguistique et une personne, sans pourtant que cette relation soit conventionnelle et stabilisée en langue : on ne trouvera ainsi pas ce sens affectif dans un dictionnaire d’usage. Parallèlement, on peut connaître précisément le sens du mot chat et ne pas savoir précisément, dans une situation ou un énoncé donné, à quel chat on fait référence, ou si l’on doit au contraire prendre le terme comme représentant de sa classe entière (Le chat est gentil, Le chat est un animal).

L’acte de référence est donc un processus éminemment dynamique, susceptible d’être redéfini contextuellement, et qui dépasse la question du sens, ou de la sémantique. Cet article passera en revue les façons principales dont nous créons cet acte de référence, certaines d’entre elles ayant déjà fait l’objet d’un autre article, auquel nous renvoyons.

II. Deixis et situation d’énonciation

On peut faire acte de référence via la situation d’énonciation et les expressions déictiques, qui ont été présentées sur cette page. Pour résumer, il s’agit d’établir une relation entre un outil linguistique et un objet immédiatement présent dans la situation d’énonciation. La relation référentielle s’établit donc explicitement, par une expérience commune du monde. Dire, ainsi, Regarde la voiture ! à un ami en me promenant dans la rue, et en joignant à la parole un geste de désignation (pointer du doigt, lever le menton, tourner la tête, etc.) assimile le GN la voiture à un objet particulier, dont l’expérience est partagée par les participantes et participants de la situation d’énonciation.

Certains mots, également, sont spécialisés dans cette désignation immédiate et partagée au monde : des termes comme ici, maintenant, je… renvoient à des éléments s’interprétant via la situation d’énonciation, et dont la référence doit donc toujours être recalculés.

III. Référents homophores

Au contraire des déictiques, les référents dits homophores sont uniques et stabilisés tout au long de leur existence : la relation qu’ils traduisent entre objet linguistique et objet du monde est d’une remarquable constance, ce qui assure leur compréhension dans tous les énoncés et tous les cas de figure possibles. Par exemple, le soleil, la lune, la France… sont des référents uniques, qui renvoient toujours au même objet du monde, quel que soit le discours dans lequel on les trouve. Leur notoriété universelle leur permet, par exemple, d’apparaître dans un énoncé sans introduction particulière et avec un déterminant défini.

Il faut cependant observer des différences d’échelles, plus ou moins nettes, entre les homophores. Si certains semblent effectivement éternels (Le soleil est le même pour Cicéron que pour Hugo, pour moi comme pour vous), d’autres demandent contextualisation. Au sein d’une famille donnée, les enfants ou la voiture renvoient toujours au même objet du monde, mais ledit objet change, bien évidemment, entre les familles. Il faut également noter que, selon les discours, une même expression peut être interprétée, ou non, comme homophore : Le Président des États-Unis est certes un homophore, comme son interprétation est indépendante de la situation d’énonciation et que sa référence tend vers l’universalité, mais il pourra être interprétée tant spécifiquement (Joe Biden, le Président des États-Unis…) que génériquement (Le président des États-Unis est élu tous les cinq ans).

Pareillement, certains concepts homophores, comme la liberté, le droit, l’humanité… ont certes une référence stabilisée, mais leurs enjeux sémantiques et même les contours de leur référence peuvent être négociées au sein des communautés et sous-communautés linguistiques, du point de vue historique, social, etc. La liberté ne renvoie pas tout à fait au même objet du monde entre Montesquieu et Bourdieu, et ce même si le concept tend, intuitivement à l’universalité. Ce phénomène peut être le lieu de tension, ou de re-définitions qui ne sont pas nécessairement explicites.

IV. Référence endophorique

La référence endophorique s’oppose à la référence exophorique, ou déictique, qui est le terme consacré. Tandis que la deixis renvoie à un élément du réel, l’endophore est un mécanisme exclusivement linguistique qui recouvre, plus ou moins, la notion d’anaphore et de cataphore. L’acte de référence, ici, s’appuie sur une relation textuelle : il faut retrouver dans le cotexte immédiat, généralement en amont (anaphore), parfois en aval (cataphore), l’objet avec lequel l’expression concernée entretient une relation textuelle pour l’interpréter référentiellement. De la même façon que des objets du monde sont spécialisés dans la déixis, d’autres, comme il ou ce dernier sont spécialisés dans la référence endophorique, et ne peuvent être compris qu’en relation avec un énoncé.

Un texte écrit, ou un discours préparé, est généralement saturé d’endophores, de chaînes de références. L’acte de référence du premier maillon de la chaîne devient donc déterminant. Cet ancien article présente, notamment, les enjeux de cette identification référentielle.

V. Noms propres

Les noms propres, par leurs qualités particulières, illustrent des enjeux référentiels spécifiques que nous avions présentés jadis. Notons simplement que les noms propres ne sont pas nécessairement des homophores (le nom Pierre ne renvoie pas à un objet stabilisé, y compris au sein d’une communauté linguistique déterminée), bien que certains noms propres tirent, cependant, de ce côté par leur notoriété (Aristote, Victor Hugo, Machiavel…). Ce sont également des désignateurs rigides, non soumis à une contextualisation ou une conventionnalisation particulière. Ils ne possèdent pas, non plus, de « sens » à proprement parler (on ne peut pas définir un Pierre dans un dictionnaire).

Nous renvoyons à ce précédent article pour en savoir davantage.

VI. Références culturelles

Enfin, un certain nombre d’actes de référence s’établissent culturellement, par une relation qui ne procède pas explicitement du langage. Il s’agit davantage d’une relation d’ordre culturelle ou symbolique, qui peut effectivement être issu d’un sens plus ou moins étroit du terme concerné, mais qui évolue souvent avec le temps et les sociétés. Par exemple, appeler un amoureux mon chat renvoie à une certaine idée de l’animal chat et à sa douceur, sa tendresse, etc. qui est culturellement située, et qui ne peut pas être partagée explicitement par l’ensemble de l’humanité.

Cet acte de référence peut ainsi permettre de relier une image linguistique à un objet du monde sans lien explicite, d’une façon plus ou moins arbitraire. Il faut, cependant, un « baptême linguistique » pour que la relation soit comprise, comme elle ne va pas d’elle-même. C’est notamment sur ce principe que joue ce qu’on appelle parfois, en rhétorique, le sous-discours, l’appel du pied (lien Wikipedia) ou les dog whistles : on utilise un terme qui ressemble à un homophore (la finance, les valeurs familiales…) mais qui sera interprété par une certaine sous-communauté comme ayant une référence différente (les Juifs, les valeurs chrétiennes etc.). Évidemment, comme ce lien n’est pas universel, il peut être difficile de le reconnaître, et il est facile de se dédouaner. Comme tout ce qui relève de l’interprétation, l’acte de référence est un processus ayant une dimension sociale et culturelle, et non exclusivement linguistique. Si le processus regarde, effectivement, le langage et son expression, il dépasse ce domaine.

VII. Références bibliographiques

Outre les références accessibles via les articles accessibles sur cette page, (re)donnons comme références complémentaires :

  • L’ouvrage de Michel Charolles (2002), La référence et les expressions référentielles en français, qui demeure un usuel éternel sur la question.
  • En anglais, l’ouvrage dirigé par J. Gundel (2008) Reference: Interdisciplinary Prespectives propose un parcours à la croisée de la linguistique, de la philosophie et des sciences culturelles.
  • Enfin, le numéro 195 de la revue Langue française est dédié aux chaînes de référence en corpus (lien Cairn).

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2 commentaires

  1. Lucile DUMON dit :

    Bonjour,

    Merci pour vos articles partagés.

    C’est toujours d’une grande richesse.

    Questions de langue porte bien son nom et par cette expression j’établis ainsi un acte de référence.Bien cordialement

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    1. Mathieu Goux dit :

      Merci beaucoup pour votre commentaire ! MG

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