Sur la linguistique diachronique (principe et méthode)

Plan de l’article :

I. Définition générale
II. Paramètres endogènes et exogènes
II.1. Forces endogènes
II.2. Forces exogènes (l’exemple du français préclassique et classique)
III. Conclusions et bibliographie

I. Définition générale

Qu’appelle-t-on la linguistique diachronique ?

Tout un chacun sait qu’une langue n’est pas un ensemble monolithique : elle évolue en continuum, selon des paramètres particuliers. Elle évolue ainsi dans l’espace : l’anglais des États-Unis n’est pas celui de la Grande-Bretagne ; et le français du nord n’est pas le français du sud, chose dont rendent excellemment compte les études de sur les langues françaises de notre pays, à l’aune des travaux de Mathieu Avanzi (@MathieuAvanzi) et de son site Français de nos régions. C’est ce qu’on appelle la variation diatopique (« dia » = au travers de, « topique » = lieu).

La langue évolue aussi selon le milieu social ou la perspective stylistique, que l’on vienne d’un milieu « populaire » ou bourgeois, qu’on écrive de la prose ou du vers : c’est ce qu’on appelle la variation diastratique (« stratique » = couche [sociale]), et Laélia Véron (@Laelia_Ve) en est spécialiste. On prendra garde à ne pas confondre variation diastratique, sociolinguistique et sociologie du langage, les concepts étant sensiblement distincts. D’autres facteurs de variation peuvent être considérés, comme la variation diagénique (variation selon le genre ou le sexe des locuteurices) et, enfin, la variation diachronique, autrement dit : la variation des langues selon un paramètre temporel.

La linguistique diachronique s’intéresse ainsi à l’évolution des langues dans le temps : par exemple, la façon dont une langue comme le latin s’est transformée, s’est modifiée jusqu’à donner naissance aux langues romanes ; et elle s’intéresse, comme les autres études variationnelle, à tous les niveaux du système.

On peut ainsi s’intéresser à l’évolution lexicale, et faire de l’étymologie à l’instar d’Hugo Blanchet (@Hugorodru) ; de la morphologie ou de la syntaxe historique ; de la sémantique, de la phonétique, et ainsi de suite.

II. Paramètres endogènes et exogènes

Envisager cependant la langue dans une perspective variationnelle, cela suppose d’envisager une évolution propulsée par les individus, locuteurs et locutrices, puisque c’est leur évolution, dans le temps, l’espace ou la société, qui influencera la langue. Les choses sont en réalité plus complexes. La langue et les êtres humains évoluent conjointement, en des proportions souvent difficiles à identifier et à pondérer. Il convient de nuancer le tableau, et d’envisager constamment deux forces de variation :

  • Les forces endogènes. Les langues humaines relèvent de phénomènes parfaitement naturels, qui traversent, toutes choses égales par ailleurs, toutes les langues du monde. Il en va par exemple de certaines évolutions phonétiques, ou de certains principes d’enrichissement du lexique, métaphore ou métonymie, ce qui autorise d’en faire une description générale.
  • Les forces exogènes. Les langues humaines vivent et se répandent grâce aux agents et agentes qui les utilisent, nous autres : et comme nous sommes sous l’influence de forces extérieures, politiques, sociales, philosophiques, esthétiques, ces paramètres influencent les langues, cette fois-ci dans des proportions inédites et renouvelées pour chacune d’entre elles.

II.1. Forces endogènes

Quel que soit son sujet d’étude, deux grands « axiomes », peut-on dire, déterminent l’esprit de la discipline diachronique :

  • (i) d’une part, la perspective comparative. La diachronie, comme toutes les études diasystémiques (diatopie, diastratie, etc.), n’existe que par la comparaison de deux états de langue, ici séparés par le temps.

C’est, d’ailleurs, ce principe de comparaison systémique, à tous les niveaux du système, qui permet de décrire des « états de langue » tels l’ ancien français, le moyen français, le français préclassique, et ainsi de suite. De grandes discussions agitent alors les scientifiques sur les « bornes » de ces états, ce qu’on commence à appeler des chronolectes : comment montrer que le moyen français compose un ensemble déterminé au niveau du lexique, de la syntaxe, de la prononciation, etc., alors que chaque sous-système va à sa vitesse propre, plus ou moins fortement ? Par exemple, la prononciation a notablement évolué entre l’époque classique et la nôtre, tandis que la syntaxe et le lexique sont relativement bien stabilisés.

Autre écueil à éviter, la tendance à superposer évolution linguistique et évolution culturelle : l’histoire événementielle et l’histoire de langue ne vont pas forcément de pair. Le moyen français n’est pas (uniquement) « la langue de la Renaissance », même si des points de rencontre existent ; mais encore maintenant, nous avons tendance à mâtiner les choses, et à faire coïncider, par exemple, le français classique avec le règne de Louis XIV, ou l’ancien français avec l’intégralité du Moyen-Âge, ce qui permet certes de stabiliser des périodes culturelles, mais terrassent les nuances linguistiques diverses.

  • (ii) d’autre part, la permanence des mécanismes du changement. On considère que les phénomènes globaux observés dans la comparaison de deux états successifs d’une langue se retrouvent, mutatis mutandis, dans toutes les comparaisons que l’on peut faire de tous les états de langue.

Un exemple très étudié est celui de la « grammaticalisation », qui permet à une suite de mots comme l’association par ce que, composé d’un groupe prépositionnel et d’une conjonction (par cela que, dans le sens de « à cause de cela »), plusieurs siècles plus tard, de s’agréger en une forme plus complexe, parce que, aux rôles distincts. La même tendance s’observe dans le temps, quelque point de départ considéré : et aujourd’hui encore, des grammaticalisations s’opèrent, à l’instar d’un adjectif comme cher qui devient, dans certains états de langue, un adverbe (il est cher grand).

II.2. Forces exogènes (l’exemple du français préclassique et classique)

Parmi les paramètres exogènes, on peut envisager la pression normative et la correction, des institutions normatives comme l’École ou l’État ; le sentiment de parler une langue socialement ou symboliquement valorisée ; s’il s’agit d’une langue associée à une culture littéraire, religieuse, etc. Tous ces éléments vont influencer le changement, agir comme autant de pressions en changeant la course. Par exemple et me concernant, je me suis spécialisé dans l’étude du français préclassique et classique, soit la période allant, pour simplifier, de 1550 à 1750. Cette période est riche pour trois grandes raisons, du point de vue des forces exogènes :

  • (i) C’est le moment où apparaissent les premières grammaires du français écrites en français : autrement dit, c’est là où on se dote d’un métalangage qui se détache du latin et du grec, et où la pression normative devient forte, notamment à cause de la création de l’Académie française (1634), et ce en relation avec un projet fort d’unification linguistique du territoire.
  • (ii) C’est le moment où apparaît le métier « d’écrivain » comme corps social, alors qu’auparavant, l’écriture était une distraction ou une activité à part, pas toujours valorisée socialement. Cette professionnalisation invente une « écriture littéraire » qui vient tordre la langue écrite d’une façon particulière. comme l’a montré Alain Viala (1985) dans son ouvrage Naissance de l’écrivain :
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  • (iii) C’est le moment de l’histoire de notre langue où un locuteur, ou une locutrice d’aujourd’hui se sent « linguistiquement à l’aise ». Autant on peut sentir de l’inconfort avec Rabelais, autant Montaigne est lisible « dans le texte », et bien sûr c’est l’époque de la littérature classique, soit, à proprement parler, « la littérature qu’on apprend en classe », à l’école donc ; et nous avons tous et toutes étudié Corneille, Racine ou Molière à un moment donné de notre parcours scolaire. Cette stabilité linguistique n’est cependant qu’apparente, les changements étant bien là, mais peut-être plus invisibles qu’avec les états antérieurs de la langue.

Ce ne sont quelques exemples prégnants des événements qui ont pu influencer la langue française à un moment donné de son histoire, en sachant que chaque période de l’évolution d’une langue connaît ses propres politiques politiques ou culturelles.

III. Conclusions et bibliographie

  • Pour l’histoire de la langue française, deux ouvrages sont à recommander : tout d’abord, Anthony Lodge (1997), Le français : histoire d’un dialecte devenu langue. C’est un ouvrage très simple d’accès, très riche et qui, bien que vieilli, vous apportera beaucoup de clés de compréhension concernant les forces exogènes du changement.
  • Ensuite Christiane Marchello-Nizia (1999), Le français en diachronie, douze siècles d’évolution. Il est un peu plus difficile d’accès, mais il rentre véritablement dans le cœur du sujet et se consacre notamment aux forces endogènes. Les deux textes se complètent donc particulièrement bien !

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