Les compléments d’objet direct

Plan de l’article :

I. Définition générale
II. COD prototypiques
III. COD atypiques

III.1. Compléments de mesure
III.2. Séquences de tours impersonnels
III.3. Noms prédicatifs et compléments d’objet
interne
IV. Conclusions et références bibliographiques

I. Définition générale

Quelles sont les propriétés syntaxiques des compléments d’objet direct ?

Parmi les différents types de compléments que peut recevoir un verbe, les compléments d’objet direct (COD) sont peut-être parmi les plus connus. Ce sont les compléments attendus des verbes dits « transitifs directs », famille de verbes bivalents comme manger, appeler, aimer, etc. Le CoD occupe dès lors, et canoniquement, la position directement à la droite du verbe en français, langue de type SVO (1)

(1a) Je mange une pomme.
(1b) J’appelle mon frère.
(1c) J’aime mon épouse.

Une tradition scolaire tenace fait du COD le complément sur lequel « passe » (ou « transite », d’où leur nom de « transitif ») l’action dénotée du verbe. Le COD deviendrait dès lors un patient ou, à proprement parler, l’objet du verbe : l’aliment de manger, qui reçoit l’appel pour appeler, l’objet de mon amour pour aimer. Cette description sémantique, néanmoins, ne permet pas de rendre compte des effets de sens multiples créés par cette famille de verbe : déjà, remarquons que si manger implique une transformation de l’objet une pomme, mon frère et mon épouse ne sont pas vraiment modifiés par le fait de l’appeler ou de l’aimer respectivement. Et que dire de J’attends le train, où ni le sujet je, ni l’objet train ne semblent subir une quelconque modification ou « transition » !

La notion de transitivité, et avec elle celle de verbe transitif et de complément d’objet, est donc surtout un concept syntaxique, et non sémantique ; et ce faisant, il est possible de le définir par des tests et des opérations. Celles-ci, cependant, dessinent davantage des gradients que des certitudes, ce qui autorise à parler non pas du, mais bien des compléments d’objet.

Le terme de « complément d’objet direct » désigne dès lors une famille de constituants verbaux réunit sous l’angle de certaines propriétés syntaxiques, que l’on peut énumérer.

Ces tests, élaborés par une riche tradition grammaticale, dessinent dès lors deux grandes familles de COD : des formes prototypiques, qui remplissent tous les critères retenus, et des formes atypiques, ou particulières, qui ne passent que certains de ces tests et non les autres. Ce billet fera l’inventaire de ces difficultés.

II. COD prototypiques

Un COD prototypique est le deuxième actant d’un verbe transitif, après le sujet qui entretient une relation d’accord avec le verbe. Syntaxiquement, il répond aux critères suivants :

  • Il est introduit directement après le verbe, soit sans le truchement d’une préposition comme à ou de (il pourrait être, sinon, un complément d’objet indirect [CoI], dont on reparlera ultérieurement) :

(2a) Je mange une pomme

  • Le COD est strictement équivalent à un groupe nominal (et non à un adjectif : il serait alors un attribut). Ce peut donc être un groupe nominal (2a), mais également un pronom (2b), une subordonnée complétive (2c) voire un infinitif, qui est la forme quasi-nominale du verbe (2d) :

(2b) Je mange quelque chose
(2c) Je veux que tu partes
(2d) Je veux partir

  • Le lien avec le verbe est plutôt fort (c’est un actant essentiel, attendu par la syntaxe du verbe). Il se traduit par une pronominalisation possible, en position préverbale, par les pronoms objets le/la/les, plus rarement en si le déterminant du COD est de (partitif ou phrase négative) (2e) :

(2e) Je la mange / Je le veux / J’en veux / Je n’en veux pas

(2f) [Une pomme] est mangée (par moi)

  • Un COD peut être détaché dans un tour clivé en « C’est X que… » en tête de phrase, et faire donc l’objet d’une thématisation. La thématisation oblige à utiliser le pronom relatif que, qui ne peut être que COD ou attribut (2g)

(2g) C’est une pomme que je mange.

  • Enfin, et parallèlement à cette dernière remarque, on peut interroger sur un COD au moyen du pronom interrogatif Que :

(2h) Que manges-tu ? (Je mange une pomme)

Comme on le voit, tous ces critères ne relèvent que de la syntaxe, et non du sens. Nous le rappelons, mais le terme « objet », issu de la logique, est inapte à déterminer tous les effets de sens que les COD expriment, et qui sont difficilement catégorisable : un COD peut effectivement désigné l’objet d’une action (« Manger une pomme »), mais aussi un résultat (« Je construis une maison »), un patient (« Je masse ma chérie »), une position spatiale (« On habite la même rue »), etc.

Partant, ces différents critères syntaxiques permettent véritablement de consacrer tous ces compléments sous une seule et même famille, aux comportements grammaticaux identiques. Néanmoins, d’autres constituants, qui semblent relever de la même famille, ne passent pas toujours ces tests uniformément.

III. COD atypiques

Aux côtés de ces COD prototypiques, de loin les plus nombreux et les plus réguliers, un certain nombre de compléments s’y rattachent. Leur échec à certains de ces tests témoigne cependant d’un éloignement progressif de la transitivité verbale et leur rapprochement d’autres types de compléments. Il est difficile d’en faire un inventaire exhaustif : les linguistes ne sont pas toujours d’accord sur leur identité, ou la résolution des tests d’identification. Notamment, selon le niveau de langue, certaines transformations seront vues comme acceptées, ou non.

Si l’on essaie cependant de classer ces compléments de ceux « qui ressemblent plus à des COD » (qui réussissent le plus de tests) à ceux qui « y ressemblent le moins », on peut identifier :

III.1. Compléments de mesure

Les compléments numériques de verbes comme mesurer, peser, etc. semblent formellement être des COD. Notamment, ils sont effectivement construits directement après le verbe (3a) et les compléments non-numériques (3b) de ces mêmes verbes répondent bien aux tests précédents :

(3a) Je pèse 80 kilos.
(3b) Je pèse mon lapin (Je le pèse, que pèses-tu, etc.)

Ces compléments numériques peuvent bien être thématisés (3c) et pronominalisés (3d), mais on note que la transformation est différente des « vrais » COD (3e, 3f) :

(3c) Les 80 kilos que je pèse témoignent de ma bonne santé
(3d) ?Mes 80 kilos, je les pèse bien
(3e) ?C’est 80 kilos que je pèse
(3f) ?Je les pèse

On observera aussi que l’on interroge ces compléments avec combien (et non avec que), et qu’on ne peut transformer le verbe à la diathèse passive (3g, 3h) :

(3g) Combien pèses-tu ?
(3h) *80 kilos sont pesés (par moi)

En revanche, on notera que certains de ces compléments se prêtent à des interprétations proches de la voix moyenne (3i) et, surtout, ils sont équivalents à des périphrases nominales exploitant la copule avoir (3j) :

(3i) Il a mesuré deux mètres de tissu.
(3j) J’ai un poids de 80 kilos

Ces deux dernières remarques rapprochent ces compléments de la famille des attributs, qui ont les mêmes propriétés. Il est dès lors possible de les voir comme des sortes de constituants intermédiaires entre ces deux familles grammaticales, qui se sont progressivement éloignés dans le temps.

III.2. Séquences de tours impersonnels

Certains verbes peuvent se prêter à des transformations impersonnelles, afin de traduire différents effets événementiels. Par exemple, le verbe arriver, à côté d’une construction grammaticale traduisant un déplacement spatial (J’arrive à Paris) peut être employé pour exprimer la survenue d’un événement. Il prend alors comme sujet un il impersonnel, béquille grammaticale saturant la place du sujet. Un complément introduit directement peut alors suivre le verbe (4a) :

(4a) Il est arrivé un grand malheur.

Ces compléments, parfois appelés « Régimes de tour impersonnel », sont formellement identiques à des COD, on peut les interroge avec Que (4b) et les thématiser, avec que ou qui (4c) :

(4b) Qu‘est-il arrivé ?
(4c) C’est un grand malheur qu(i) est arrivé.

En revanche, on ne peut les pronominaliser en position préverbale (4d), ni les rendre sujet d’une voix passive (4e) :

(3d) *Il l’est arrivé.
(3e) *Un grand malheur a été arrivé.

De fait : un tour personnel consiste à saturer la position sujet par un pronom il non-personne, reléguant le véritable sujet sémantique en position postverbale. Une permutation permet, dès lors, de retrouver une forme canonique (4f) :

(4f) Un grand malheur est arrivé

Ces transformations témoignent, entre autres, de la pertinence d’analyser les sujets comme des « actants du verbe » ; ainsi que la remise en question d’une définition sémantique du COD comme « actant qui subit une action ».

III.3. Noms prédicatifs et compléments d’objet interne

Enfin, certains arguments du verbe ne semblent être des COD qu’en surface, et ne réussissent quasiment aucun test : ils sont simplement construits directement à la droite du verbe (5a, 5b) :

(4a) Cela fera plaisir à Jean.
(4b) Je vis une vie tranquille

En effet, la pronominalisation est impossible ou très discutable (4c, 4d), de même que l’interrogation (4e, 4f), et la passivation est impossible (4g, 4h) :

(4c) *Cela le fera à Jean
(4d) ? Je la vis.
(4e) ?Que fera cela à Jean ?
(4f) ?Que vis-tu ?
(4g) *Plaisir sera fait par cela à Jean
(4h) *Une vie tranquille est vécue [par moi]

Seule la thématisation est éventuellement permise, même si, selon les registres, elle peut être sentie comme maladroite ou visant un effet stylistique particulier (4i) :

(4i) ?C’est une vie tranquille que je vis.

Ces compléments d’objet sont en réalité considérés comme des « noms prédicatifs », c’est-à-dire des noms qui expriment une prédication, soit l’action d’un verbe. Il y en a un certain nombre en français, comme le nom l’arrivée : l’arrivée de Jean est sémantiquement équivalent à Jean est arrivée. Ces noms prédicatifs sont généralement des participes ou des infinitifs substantivés, voire d’anciens verbes disparus en français moderne (tel plaisir). Ils ont cependant une partie de leur syntaxe verbale initiale, et notamment la faculté de régir ce qui a été, pour eux, des compléments verbaux.

Syntaxiquement, ces noms prédicatifs agissent davantage à la façon de « verbes déguisés en nom », avec lesquels ils permutent sans mal (5a et 5b) :

(5a) Cela fera plaisir à Jean <=> Cela plaira à Jean.
(5b) Je vis une vie tranquille <=> Je vis tranquillement

Notamment, les exemples similaires à (5b) sont identifiés comme des « compléments d’objet internes ». On isole comme le noyau sémantique du verbe sous la forme d’un nom, que l’on peut alors compléter d’un adjectif ou d’un autre type d’expansion nominale (6), ce qui serait impossible en gardant la forme verbale.

(6) Je chante une chanson douce/de mon enfance

Aussi, si les compléments de mesure (II.1) partageaient un lien avec les attributs, ces compléments nominaux prédicatifs ouvrent la porte à la semi-auxiliation avec des verbes comme « pouvoir » ou « faire » dont l’analyse est souvent délicate, et qui feront l’objet d’un futur billet (7) :

(7) Il fera son entrée <=> Il entrera

IV. Conclusions et références bibliographiques

Avant de donner quelques éléments de bibliographie, évoquons enfin un cas particulier : les emplois transitifs de verbes intransitifs. S’il est fréquent d’employer sans compléments un verbe transitif (je mange), le contraire est parfois condamné par les puristes. Par exemple, un verbe comme aboyer, enregistré par les dictionnaires comme intransitif (et donc, sans complément recevable), peut être employé comme (8) :

(8) Le chef aboya un ordre

Ce complément passe tous les tests d’identification d’un « vrai » COD, mais les grammaires et les dictionnaires hésitent, comme ils peuvent souvent le faire face à un nouvel usage ou une nouvelle extension grammaticale. La question reste aussi de déterminer s’il s’agit d’une construction parallèle à l’ancienne, ou bien d’un nouveau verbe homonyme. Généralement, les puristes considèrent que les exemples comme (8) violent la « compatibilité sémantique » entre le verbe et le COD, qui veut que le contenu de sens du complément soit cohérent avec le sens du verbe.

Cet argument, cependant, semble faible : d’une part et comme on le notait plus haut, les COD se définissent surtout syntaxiquement, et non sémantiquement ; d’autre part, cet argument récuse des emplois métaphoriques ou poétiques, bien documentés (« Je clos la discussion », « Je chante la liberté ») et non contestés généralement.

En réalité, nous aurions ici des reconfigurations de la transitivité du verbe. Dans l‘histoire des langues, le « drame du verbe » évolue, soit en multipliant l’éventail de ses constructions, soit en les restreignant. L’événement n’est pas rare dans l’histoire du français : des verbes intransitifs sont, avec le temps, devenus transitifs, de différentes façons, et réciproquement : et ces évolutions témoignent de la vivacité de la langue française, qui continue d’évoluer.

En guise de bibliographie, outre les grammaires générales et les références déjà données dans les billets précédents, je vous recommande ce numéro spécial de la revue Linx (1991, dir. Annie Montaut), dédié à la transitivité en général dans les langues. En bibliothèque, on peut encore trouver l’ouvrage de Blinkenberg (1960), Le problème de transitivité en français moderne. C’est, à ma connaissance, l’un des rares essais du genre sur la question. Il est vieilli, mais certaines de ses propositions sont encore pertinentes.

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