Temps, aspect et mode (TAM)

Plan de l’article :

I. Définition générale
II. Modes et univers de vérité
II.1. Infinitif, participes et gérondif
II.2. Indicatif, subjonctif et impératif
III. Temps du discours et temps du récit
IV. À propos de l’aspect
IV.1. Principes généraux
IV.2. Accompli & inaccompli, global & sécant
V. Vers la notion de « tiroir verbal »
VI. Bibliographie

I. Définition générale

Qu’appelle-t-on le temps, l’aspect et le mode (TAM) ?

Les termes de Temps, Aspect et Mode (TAM) renvoient à des propriétés sémantiques du verbe, qui se matérialisent souvent sous la forme de marques faisant partie de sa conjugaison.

Toutes les langues ont effectivement besoin de coder ces informations d’une façon ou d’une autre, et ces marques donnent des indications sur la façon d’interpréter le sens du verbe. Précisons que les marques TAM n’incluent pas les indications de personne verbale, alors qu’en français par exemple, elles font partie de la morphologie du verbe (je mange vs. nous mangeons). Deux raisons à cela :

  1. On ne rencontre pas les marques de personne dans toutes les langues naturelles, ou alors irrégulièrement : l’anglais moderne par exemple ne marque guère que la troisième personne (I/You/We/They eat / He eats), et même en français, il n’y a pas toujours de marques explicites dédiées (je/il mange)
  2. Les langues peuvent coder la personne dans d’autres objets que le verbe, par exemple dans les pronoms ou les déterminants (mon/ton/son, le mien, etc.) On n’inclut donc généralement pas la personne dans les marques TAM.

Nous décrirons successivement ces trois propriétés du verbe, en nous intéressant à la façon dont elles s’expriment en français.

II. Modes et univers de vérité

Le Mode renvoie à la relation entre l’action du verbe et l’univers de vérité du locuteur ou de la locutrice, et par exemple précise si son action se réalise dans notre propre réalité, dans toutes les réalités possibles, ou si son existence dépend de diverses conditions annexes. Le français distingue deux grandes familles modales :

  • Tout d’abord, les modes impersonnels, dits encore non finis. Ces modes ne précisent pas la personne verbale.
  • Ensuite, les modes personnels, dits encore finis. Ces modes précisent la personne verbale.

II.1. Infinitif, participes et gérondif

L’infinitif, les participes présents et passés et le gérondif, saisissent l’action du verbe d’une façon indéterminée, et son interprétation est toujours tributaire du contexte dans lequel nous le trouvons. L’infinitif par exemple, peut autant construire une hypothèse (1a) que décrire une réalité passée (1b).

(1a) L’idée de venir me terrifie.
(1b) L’apercevoir m’a rempli d’espoir.

Tout se passe comme si nous ne retenions ici que la « possibilité de l’action », sa virtualité, ce qui explique d’ailleurs que ces modes sont propices à devenir des noms (Le boire et le manger, les habitants…) ou des adjectifs (L’être aimé), et donc à délaisser leur rôle prédicatif et de description événementielle, en contrepartie d’un rôle davantage référentiel ou accidentel, même si cette interprétation prédicative demeure présente.

II.2. Indicatif, subjonctif & impératif

Selon la façon dont on envisage les conditions de réalisation d’une action particulière, on emploiera :

  • L’indicatif, de loin le plus fourni en paradigmes (ou modèles de conjugaison), indique que l’action du verbe s’est réalisée, se réalise ou se réalisera, indépendamment de toutes conditions complémentaires.
  • L’impératif (aussi appelé parfois « jussif » [lat. jussio, « j’ordonne »], même si le jussif regroupe en général tout ce qui est de l’ordre de l’injonction, au-delà de la seule forme du verbe) indique que l’action du verbe (ou la non-réalisation de l’action, dans le cas de la forme négative) est dépendante d’un ordre, d’une contrainte ou d’une force tierce.
  • Le subjonctif (aussi appelé parfois « optatif » [lat. optare, « souhaiter »] ou « désidératif », bien que le terme s’applique, comme au-dessus, à d’autres objets que le verbe), indique que l’action du verbe est dépendante de la réalisation d’une autre action ou d’un souhait.

Si l’impératif se repère assez aisément, dans la mesure où nous le trouvons sans sujet exprimé et qu’il ne peut se conjuguer qu’à la P2 (Va !), à la P4 (Allons !) ou à la P5 (Allez !), la nuance entre indicatif et subjonctif peut occasionnellement être assez ténue. Elle est néanmoins à l’origine d’oppositions fructueuses en français, à l’instar des exemples suivants :

(2a) Je cherche un homme qui peut m’aider.
(2b) Je cherche un homme qui puisse m’aider.

En (2a), le verbe pouvoir, à l’indicatif, présuppose que l’existence dudit homme n’est soumise à aucun type de condition, il existe nécessairement ; mais en (2b), puisse au subjonctif indique que cette existence est sujette à caution : je ne suis pas convaincu préalablement de son existence.

Pour terminer cette section, remarquons que, malgré une tradition grammaticale tenace, le conditionnel n’est pas un mode. Sa valeur primordiale de « futur dans le passé », le rattache effectivement à l’indicatif et ce même s’il se prête à des interprétations modales, à l’instar de toutes les formes verbales, comme nous le verrons plus bas.

III. Temps du discours et temps du récit

Le temps, plus simplement, saisit le sens du verbe selon un paramètre à proprement parler temporel, soit dans la façon dont les événements se succèdent et se positionnent les uns par rapport aux autres. Cette succession ou cette répartition se détermine en relation avec un point de repère. Trois cas de figure se rencontrent :

  • Le point de repère peut être le moment présent, contemporain de la personne produisant l’énoncé. On parle alors de « temps de discours », notamment pour l’indicatif (présent, passé composé, futur et futur antérieur) et l’impératif (présent et passé [ce dernier est peu employé]). Pour l’indicatif par exemple, la succession temporelle s’organise ainsi :

Passé composé => PRÉSENT => Futur antérieur => Futur

  • Le point de repère peut être un moment passé, détaché de toute relation avec l’origine de l’énoncé et exprimé par le passé simple. On parle alors de « temps du récit » (passé simple, passé antérieur, conditionnel et conditionnel passé).

Passé antérieur => PASSÉ SIMPLE => Conditionnel passé => Conditionnel

L’imparfait et le plus-que-parfait peuvent se mouler dans ces deux systèmes sans mal, avec des différences aspectuelles, comme nous le verrons plus bas.

  • Enfin, le point de repère peut être un autre événement. Ici, le calcul de succession temporelle se fait non d’un point de vue absolu comme précédemment, mais d’un point de vue relatif. C’est notamment ici que se trouve le subjonctif (présent, passé, imparfait et plus-que-parfait). C’est ce qu’on appelle la « concordance des temps », qui offre quatre cas de figure :
    • Si l’action du verbe au subjonctif est simultanée à un temps du discours, on emploiera le présent :

(3a) Je veux qu’il m’aime.

  • Si l’action du verbe au subjonctif est antérieure à un temps du discours, on emploiera le passé :

(3b) Je veux qu’il m’ait aimé.

  • Si l’action du verbe au subjonctif est simultanée à un temps du récit, on emploiera l’imparfait :

(3c) Je voulus qu’il m’aimât.

  • Si l’action du verbe au subjonctif est antérieure à un temps du récit, on emploiera le plus-que-parfait :

(3d) Je voulus qu’il m’eût aimé.

Dans les faits cependant, et dès l’époque classique, les subjonctifs imparfaits et plus-que-parfaits (que l’on connaît surtout pour ces formes rares en -isse ou -usse…), sont sentis comme vieillis. On pourra donc dire, sans mal, Je voulus qu’il m’aime/m’ait aimé, en étendant le système relatif aux temps du discours à ceux du récit.

IV. À propos de l’aspect

IV.1. Principes généraux

L’aspect est sans doute l’élément de la grammaire verbale du français le moins connu. Il faut dire qu’au regard d’autres langues, le français code peu l’aspect dans le système verbal, du moins, pas dans sa morphologie en tant que telle. On définit l’aspect comme la relation entre le procès verbal et le point de vue de son déroulement temporel interne.

Une action, quelle qu’elle soit, peut être segmentée dans sa réalisation temporelle. Si nous prenons l’action d’écrire, je peux envisager (i) le moment avant le début de l’action ; (ii) le déroulement de l’action ; (iii) la fin de l’action. L’aspect, c’est ce qui permet d’expliciter ces différents moments. En anglais par exemple, les formes en –ing (I am walking) traduisent un aspect progressif ou continu : l’action est débutée et est en train de se réaliser, et nous la saisissons entre la borne initiale et la borne finale de son déroulement. Selon les langues, le verbe code différentes notions aspectuelles : progressif, inchoatif (le procès est pris à son début), terminatif, accompli, inaccompli… La subtilité peut parfois être vertigineuse dans les langues. Le français, généralement, passe par des périphrases verbales pour déterminer ces nuances, par exemple et si nous reprenons le verbe écrire :

(4a) Je m’apprête à écrire.
(4b) Je commence à écrire.
(4c) Je suis en train d‘écrire (plus ou moins équivalent à I am writing).
(4d) Je termine d‘écrire.
(4e) Je viens d‘écrire.

IV.2. Accompli & inaccompli, global & sécant

Au-delà de ces tours périphrastiques, le français code directement dans sa morphologie verbale l’aspect accompli et inaccompli par l’opposition temps simple / temps composé. Un temps simple suppose que l’action du verbe est inaccomplie (je mange, c’est-à-dire, « je suis en train de manger »), le temps composé qu’elle est accomplie (j’ai mangé, soit, « je viens de manger »). Cela semble logique, mais cela ouvre des perspectives intéressantes : notamment, le français possède un temps du passé inaccompli en l’objet de l’imparfait (je mangeais), alors que le plus-que-parfait est un temps du passé accompli (j’avais mangé). Cela permet ainsi de créer des jeux d’opposition intéressants, par exemple entre le passé composé et l’imparfait dans les temps du discours.

Deux autres aspects sont souvent étudiés en français : l’aspect global et l’aspect sécant. Ils ne sont pas codés strictement dans la conjugaison, mais se comprennent par des jeux complexes d’opposition verbale, notamment entre passé simple et imparfait. Quand on les trouve effectivement et généralement, le passé simple implique un aspect global, il nous permet de saisir conjointement le début et la fin de l’action. L’imparfait, lui, code, l’aspect sécant : il considère l’action à un moment donné de sa progression, mais sans prendre en compte ses bornes initiales ou terminales. Si l’on reprend un exemple fameux (5) :

(5) Il mangeait quand le téléphone sonna.

On voit bien ici que l’action de sonner, au passé simple, vient comme « couper », par sa saisie aspectuelle sécante, ayant un début et une fin, l’aspect global de l’imparfait du verbe manger. Cela donne une vivacité à l’action, au passé simple, au regard de l’imparfait qui est davantage prompt à déterminer un arrière-plan descriptif, raison pour laquelle ce type d’association verbale est souvent trouvée dans les textes narratifs. On notera cependant que ces aspects ne sont pas codés en eux-mêmes dans les verbes, puisque c’est dans leur opposition qu’on les saisit. Cela n’est pas sans rapport avec l’hésitation que nous pouvons ressentir parfois entre imparfait et passé simple, notamment à la P1 (je mangeai[s]), puisqu’il nous faut considérer la dynamique entre les événements et non leur seule succession temporelle.

V. Vers la notion de « tiroir verbal« 

Cette dernière remarque nous amène à cette conclusion, qu’une forme verbale ne code généralement pas une et une seule information, fût-elle temporelle, modale ou aspectuelle, mais toute une galaxie d’éléments sémantiques qui concourent au sens de l’énoncé. C’est la raison pour laquelle on parle aujourd’hui davantage de « tiroir verbal » que de « temps » : non seulement le terme de temps n’est qu’une portion de tout ce que le verbe peut coder mais de plus, cela rend bien l’idée qu’on ouvre comme un tiroir d’une commode et qu’il faut trier parmi toutes les informations qu’on y trouve. Ainsi, toutes les formes verbales du français ont des emplois prototypiques, tels ceux qu’on a présentés, mais elles ont aussi des interprétations modales ou aspectuelles spécifiques, plus ou moins rares, qui permettent de complexifier le propos. Pour n’en donner que quelques exemples :

  • Le conditionnel a un emploi temporel de « futur dans le passé » (6a), mais il est aussi connu pour l’expression de la condition (6b). Il s’approche en ce sens parfois du subjonctif, ce qui explique d’ailleurs que le conditionnel passé se matérialise, en français, sous une « deuxième forme », morphologiquement identique au subjonctif plus-que-parfait (6c), et son analyse, parfois, comme « mode ».

(6a) Jean promit de venir ; il ne passerait que le soir.
(6b) Je voudrais venir ce soir, si cela vous va.
(6c) J’aurais aimé (conditionnel passé « première forme ») / J’eusse aimé (conditionnel passé « seconde forme »)

  • Le subjonctif supplée des formes absentes de l’impératif ; comme on le comprend, l’expression du souhait et de l’ordre sont, finalement, proches l’une de l’autre (7).

(7) Qu’il(s) mange(nt) !

  • Le présent de l’indicatif, peut-être du fait de l’absence de véritable marque qui lui serait propre, est un cas extrême. On le trouve en présent de vérité générale (8a), il peut exprimer un futur proche (8b), ou un impératif (8c), et peut même en théorie remplacer tous les tiroirs verbaux du français !

(8a) La Terre tourne autour du soleil.
(8b) Je viens demain.
(8c) Tu me fais ça !

D’autres tiroirs verbaux sont, au contraire, moins malléables, à l’instar du passé simple qui, sorti de ses emplois historiques et passés, ne se prête guère à des emplois modaux ; et bien entendu, ces interprétations ont évolué en diachronie longue, du latin au français. Ainsi, quand nous lisons un verbe, nous calculons tous ces éléments et sélectionnons parmi les emplois modaux, temporels, aspectuels, lesquels nous devons sélectionner ou cumuler, afin de s’arrêter sur l’interprétation qui nous semble la plus idoine, en accord avec les autres indices de l’énoncé.

VI. Bibliographie

  • Première référence à conseiller : Les Formes conjuguées du verbe français : oral et écrit (1997, Pierre Le Goffic).
  • Ensuite, la Grammaire du verbe français. Des formes au sens. (2003, Danielle Leeman). Ces deux ouvrages se complètent particulièrement bien, et on ne saurait que les recommander !

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