Diathèse du verbe (voix active, passive & moyenne)

Plan de l’article :

I. Définition générale
II. Voix active
III. Voix passive
IV. Voix moyenne et tours factitifs
V. Conclusions et bibliographie

I. Définition générale

Qu’appelle-t-on la diathèse ou la « voix » du verbe ?

Il s’agit d’un mécanisme permettant de jouer sur l’interprétation et la construction des arguments (sujets et objets) de certains verbes, et qui permet d’en modifier l’interprétation sans engager la grammaticalité de la structure.

Plus largement, la diathèse se définit comme l’articulation entre deux niveaux d’analyse d’une construction phrastique, le niveau de la syntaxe d’une part, le niveau de l’agentivité de l’autre, et leur éventuelle discordance.

  • Le niveau syntaxique, nous le rappelons, c’est celui de l’agencement, des contraintes et des dépendances des syntagmes dans la linéarité de l’énoncé. Nous nous intéresserons surtout aux fonctions de sujet syntaxique et d’objet direct, qui ont une relation de dépendance avec le verbe de la phrase. Le français étant une langue dite SVO (Sujet – Verbe – Objet), on s’attend à trouver le sujet à gauche du verbe, et l’objet à sa droite.
  • Le niveau de l’agentivité, c’est celui des rôles sémantiques que vont occuper ces syntagmes dans la compréhension de l’action, typiquement en opposant un « Agent », qui fait l’action, à un « Patient » ou un « Objet » qui la subit.

Dans une langue positionnelle comme le français, ces niveaux d’analyse sont généralement concordants. En (1) ainsi, il y a un parallèle strict entre la fonction Sujet et le rôle d’Agent (Marie) et la fonction Objet et le rôle de Patient (une pomme).

(1) Marie mange une pomme.

Autrement dit, on a une homogénéisation des niveaux d’analyse. Il faut alors comprendre que cette identité n’est pas programmée, en elle-même, dans les structures de langue. Au niveau syntaxique, un sujet peut ne pas être un agent en tant que tel, par exemple dans le cadre des verbes dits « impersonnels ». En (2a), le pronom Il est sujet syntaxique mais il est référentiellement ou sémantiquement vide, et ne saurait être un « agent » dans le sens sémantique du terme. Nous pouvons le prouver facilement par une substitution, et en observant que Il ne peut ici être remplacé par un groupe nominal, ce qu’il prouve bien qu’il n’est pas indexé sur un élément du monde réel.

(2a) Il pleut.
(2b) *Le ciel/Le temps/La météo pleut.

Au niveau agentif de même, un sujet et un objet peuvent ne pas avoir de rôles marqués. Dans les exemples (3) et (4), difficile de donner aux arguments du verbe un rôle agentif particulier : on peut par exemple les permuter sans changer fondamentalement le sens de la phrase (on parle parfois de verbes réversibles dans ce cas de figure).

(3a) Jean ressemble à Paul.
(3b) Paul ressemble à Jean.
(4a) Louise épouse Marie.
(4b) Marie épouse Louise.

Aussi, cette concordance sujet/agent ou objet/patient, bien que caractérisant intuitivement notre système grammatical, n’est ni systématique, ni obligatoire, et l’articulation entre les niveaux d’analyse s’avère en réalité assez souple. Il est alors trois cas de figure, nommé des « voix » :

  1. Une concordance entre le sujet et l’agent, ou « voix active » ;
  2. Une inversion entre le sujet et le patient, ou « voix passive » ;
  3. Une transformation, le patient devenant le sujet, ou « voix moyenne ».

Nous décrirons ces trois voix successivement.

II. Voix active

La voix active est la forme la plus immédiate de construction de l’agentivité, et elle est considérée comme la forme « non-marquée » de la relation prédicative. Dans celle-ci, on fait donc concorder le niveau syntaxique avec le niveau sémantique, le sujet syntaxique étant l’agent, l’objet le patient. Comme on l’a vu cependant plus haut, cela n’est pas suffisant pour que l’on puisse toujours analyser le sujet comme un actant, et l’objet comme un patient. Les tours impersonnels (« Il pleut ») ou certains verbes (« Jean ressemble à Paul ») bloquent ainsi l’interprétation.

Ensuite et évidemment, on ne pourra pas parler de voix active lorsque les verbes sont intransitifs et ne tolèrent donc aucun patient (5) : pour qu’il y ait concordance des rôles, il faut, a minima, que ces rôles soient remplis.

(5) Le chien aboie.

On se gardera alors des abus de langage : on a effectivement tendance à confondre la diathèse ou la voix verbale avec la forme de la conjugaison du verbe. La règle à retenir, c’est que l’on ne parlera que de diathèse, et par extension de voix active, que si la transformation est possible, c’est-à-dire si, comme dans l’exemple (1) :

  • Les fonctions sujet et objet sont remplis ;
  • Le sujet est l’agent et l’objet et le patient ;
  • Que ces rôles ne sont pas réversibles.

(1) Marie mange une pomme.
(1′) Une pomme mange Marie.

III. Voix passive

La voix passive se caractérise par une permutation parfaite des rôles : le patient devient sujet, l’agent devient objet. Il prend alors le nom de « complément d’agent ». Si nous reprenons l’exemple précédent :

(6a) Marie mange une pomme. (voix active)
(6b) Une pomme est mangée par Marie. (voix passive)

Au niveau morpho-syntaxique, cette permutation implique deux changements :

  • (i) En français, le verbe est auxilié grâce à la copule être, au même tiroir verbal que son équivalent actif. Ainsi, pour transformer un imparfait de l’indicatif à la voix active (7a), il suffit de conjuguer l’auxiliaire être à l’imparfait de l’indicatif, et de lui adjoindre le participe passé du verbe concerné.

(7a) Il mangeait (imparfait de l’indicatif, voix active)
(7b) Il était mangé (imparfait de l’indicatif, voix passive)

Cette auxiliation se retrouve en anglais, où la voix active he watches (« il regarde ») permute avec la voix passive he is watched (« il est regardé »). Le latin, en revanche, emploie quant à lui un morphème spécifique -or : Amo (« j’aime ») permute avec Amor (« je suis aimé »).

  • (ii) La postposition de l’agent, qui devient un « complément d’agent » (ou « complément agentif »), et est alors introduit par une préposition. En français, il s’agit des prépositions par et de. La préposition par (cf. 7b supra) est la plus fréquemment trouvée ; quant à la préposition de, elle est notamment employée pour les verbes dénotant des changements d’états ou des successions temporelles.

(8a) Un banquet suivra la réception.
(8b) La réception sera suivie d’un banquet.

Ce modèle général appelle quelques commentaires. Tout d’abord, et à cause de la façon dont nous concevons le monde, le complément d’agent a tendance à être interprété comme une force causative, ce qui n’est pas absurde : le sujet d’une action peut être vu comme sa « cause », comme Marie peut être « la cause de l’ingestion de la pomme ». Cela explique dès lors l’élection de la préposition par, qui introduit généralement des causes diverses. Il peut parfois être difficile, dès lors, de distinguer un groupe prépositionnel causatif d’un complément d’agent. De même, il arrive souvent qu’un verbe qui semble être à la voix passive soit analysé plutôt comme une structure attributive résultative. Comparons :

(9a) Marie cuit le rôti.
(9b) Le rôti est cuit par Marie.
(9c) Le rôti est cuit.

Peut-on alors encore dire que (9c) est la passivation de (9a) ? Ici, les analyses des grammaires divergent. Certaines analysent les exemples comme (9c) comme des « passifs incomplets », considérant que le complément d’agent est parfois supprimable sans engager la grammaticalité de l’énoncé. Si c’est effectivement souvent le cas, et notamment avec les compléments d’agent introduits par par (10a), d’autres exemples empêchent de supprimer le complément d’agent (et notamment quand il est introduit par de, 10b).

(10a) La pomme est mangée (par Marie).
(10b) *La réception sera suivie.

En (9c) ainsi, on comprend bien que l’action ne se fait pas « d’elle-même », qu’il y a eu un agent, une cause à la cuisson du rôti. L’effacement du complément d’agent cependant donne un effet résultatif, proche de ce que l’on a dans le mécanisme de l’attribution avec un adjectif comme bon (9d).

(9d) Le rôti est bon.

D’où une seconde analyse, qui voit dans les exemples similaires à (9c) une structure attributive, avec cuit qui ne construit donc plus le présent passif du verbe cuire, mais qui est un adjectif verbal inclus dans une structure attributive construite avec la copule être. Il est vrai que certains exemples sont douteux ; par exemple, dans l’exemple (10), a-t-on affaire à une structure passive avec un complément d’agent introduit par de, ou une structure attributive, avec l’adjectif verbal mort construit avec un complément ?

(10) Louis est mort de chagrin.

Vraisemblablement d’ailleurs, il est plus que possible qu’en diachronie, ces étapes aient été successives : et à côté d’un morphème du passif comme en latin (amor), on a vu apparaître dès le latin populaire des structures mettant à profit le sens résultatif de l’attribution pour exprimer la diathèse passive, qui serait alors devenue la seule structure employée en langue. Au sens strict dès lors, nous parlerons de « diathèse passive » lorsque :

  • Le verbe a un contrepoint actif ;
  • Il est construit avec l’auxiliaire être ;
  • Il a un complément d’agent exprimé.

IV. Voix moyenne et tours factitifs

Parfois oubliée par les grammaires, la voix moyenne (dite encore « pronominale ») illustre une étape intermédiaire entre la voix active et la voix passive, d’où son nom. Il s’agit généralement d’employer une forme pronominale d’un verbe, ce qui va alors forcer le patient actif à devenir sujet syntaxique, sans passer cependant par une transformation de la forme du verbe :

(10a) Les feuilles mortes se ramassent à la pelle.

On peut retrouver les structures précédentes après quelques transformations :

(10b) Jean ramasse les feuilles mortes avec la pelle (voix active)
(10c) Les feuilles mortes sont ramassées par Jean avec la pelle (passif)

Comme on le voit cependant, cette voix moyenne permet de mettre en avant le rôle instrumental, introduit ici par la préposition à ou avec (la pelle), au détriment du complément d’agent. Dans la voix moyenne en effet, cet agent est parfaitement effacé, et sa restitution est impossible :

(10d) Les feuilles se ramassent *par Jean.

Cet effacement de l’actant « réel » donne l’impression que le sujet effectue véritablement l’action. On trouve d’ailleurs parfois ici l’expression adjectivale tout seul qui renforce cette idée.

(10e) Les feuilles se ramassent toutes seules.

Il est cependant possible, au prix d’une nouvelle transformation, de réinjecter cet agent : il faut passer pour ce faire par un auxiliaire factitif comme faire ou laisser :

(10f) Les feuilles se font ramasser par Jean.

On notera d’ailleurs qu’il est possible de transformer également les voix passives en tour factitif, afin de conserver l’interprétation résultative. Si nous reprenons notamment l’exemple (9) précédent :

(9a) Marie cuit le rôti.
(9b) Le rôti est cuit par Marie.
(9d) Marie fait cuire le rôti.

Cela permet de compliquer le panorama et les possibilités de la diathèse du verbe, toutes ces structures permettant d’introduire de plus en plus de rôles sémantiques (patient, agent, instrument…) autour de lui.

V. Conclusions et bibliographie

Au terme de ce parcours, retenons que :

  • La diathèse (voix) exprime les relations et les articulations complexes, entre sens et syntaxe.
  • Ces articulations sont diverses, et permettent de jouer sur le point de vue d’une action.

Car nous y venons : la diathèse a cet effet, de focaliser l’attention sur un certain argument, un certain référent, typiquement le sujet syntaxique qui, comme il est généralement à la gauche du verbe, tend à être interprété comme le thème de l’énoncé. Pour reprendre un exemple fameux, en (11a), on s’intéresse au chat ; en (11b), on cherche à sympathiser avec la souris.

(11a) Le chat mange la souris.
(11b) La souris est mangée par le chat.

Les effets rhétoriques, ou stylistiques, vont cependant au-delà d’une simple focalisation, dans la mesure où la diathèse conditionne aussi notre rapport au monde ou, plutôt, la façon dont nous y avons accès. La presse journalistique travaille beaucoup ces nuances. Ainsi, entre ces trois exemples :

(12a) Les policiers dispersent les manifestants. (voix active)
(12b) Les manifestants sont dispersés par les policiers. (voix passive)
(12c) Les manifestants se sont dispersés. (voix moyenne)

Nous avons trois lectures distinctes du même événement. Il faut notamment être attentif, dans la presse, à l’emploi de la voix moyenne : comme elle permet d’effacer l' »agent réel » de l’action, elle tend à donner une sensation d’inéluctabilité aux phénomènes, de destinée. Si nous prenons deux exemples issus de la page d’accueil du Monde.fr :

En haut : « Les opérations de secours se poursuivent au Japon après des inondations meurtrières » / En bas : « Le Royaume-Uni se déconfine presque totalement, mais sans enthousiasme »

Dire « Les opérations se poursuivent » (et non « Les secouristes poursuivent… ») ou « Le Royaume-Uni se déconfine » (et non « Les autorités déconfinent… »), c’est choisir un certain point de vue sur les événements, lequel efface les véritables agents de ces actions. Tout mouvement nous découvre, disait Montaigne : et chaque choix de langue, y compris le choix de la diathèse active, « non marquée », est interprétable, est rhétorique, conditionne un point de vue. On comprend souvent que le « choix des mots » conditionne l’accès à la réalité ; mais d’une façon plus subtile, le choix de la diathèse, ou de la voix, a des conséquences sur notre analyse du monde, même si cela n’est pas toujours fait à dessein.

Au niveau bibliographique, la diathèse est souvent analysée sous le prisme des constructions verbales, et notamment de la transitivité même si les concepts ne sont pas superposables. On pourra cependant commencer par les grammaires générales sur ces questions.

  • Plus directement, M.D Joffre (1995) a écrit un excellent ouvrage sur la diathèse latine (Le Verbe latin : Voix et diathèse).


  • Pour le français, on ira sinon consulter quelques grandes références, dont Gaatone (1998), Le Passif en français.


  • Je recommande également le parcours de l’article de Pierre Jalenques (2016), « Le passif en français et le statut référentiel du sujet » (notice en ligne), qui apporte de très bonnes clés de compréhension.
  • Enfin, on ira voir l’ouvrage collectif de Gerolimich et al. (2018), Sur le passif en français et dans d’autres langues, pour une perspective comparative.


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